L’obésité : une maladie sociale !
Auteurs :
- LALAU Jean-Daniel (Pr – Médecin nutritionniste)
L’obésité : une maladie sociale !
Les chercheurs de l’Unité de surveillance et d’épidémiologie nutritionnelle (Institut de veille sanitaire – Université Paris 13), de l’Équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle (Centre d’épidémiologie et biostatistique Sorbonne Paris Cité), de l’Observatoire régional de santé Île-de-France et de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes) ont présenté en 2014 des données inédites, issues de l’étude Abena (Alimentation et état nutritionnel des bénéficiaires de l’aide alimentaire)(1).
De la méthode…
Cette étude a porté sur la situation des femmes ayant recours à l’aide alimentaire dans six territoires urbains français en 2011-2012 (Paris, Marseille, Grand-Dijon, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne et Hauts-de-Seine).
Elle interroge chez ces personnes en grande fragilité sociale la santé à 3 niveaux : les facteurs associés à l’obésité, notamment l’insécurité alimentaire ; l’état bucco-dentaire, à la fois marqueur et déterminant de santé nutritionnelle ; et enfin, le sommeil.
Les personnes ont été tirées au sort selon un plan de sondage stratifié à deux degrés : des structures de distribution d’aide alimentaire ont été tirées au sort en attribuant à chacune d’elles une probabilité d’inclusion proportionnelle à sa capacité de distribution ; les usagers enquêtés ont ensuite été tirés au sort de façon aléatoire au sein de chaque structure sélectionnée.
… aux résultats
Des résultats bruts, brutaux même : dans la population étudiée, la prévalence de l’obésité est non seulement bien plus élevée par rapport à la population générale : 35% contre 17%, mais elle s’aggrave au fil du temps : 35% contre 29% en 2004 dans cette même population.
Le risque d’obésité est apparu associé aux éléments suivants : le niveau scolaire, l’absence de couverture complémentaire, le type de logement, la situation familiale, et le lieu de résidence (chez ces femmes qui ont plus souvent des enfants à charge et qui les élèvent plus souvent seules comparativement à celles qui ne sont pas obèses).
Commentaires
Pour être honnête, ce type de résultat est malheureusement attendu. Encore plus intéressant, à mon point de vue, est l’émergence d’un nouveau concept : celui « d’insécurité alimentaire », ressenti du point de vue des personnes interrogées. Une telle approche prend en compte des dimensions jusqu’alors mal explorées méconnues de l’alimentation, lesquelles déterminent pourtant les arbitrages entre les dépenses liées à l’alimentation et les autres dépenses, et les dépenses alimentaires priorisées au sein de la famille (avec une priorité pour les enfants, au détriment de l’équilibre nutritionnel de la mère).
Il a ainsi été noté un sentiment d’insécurité alimentaire importante chez plus de 40% des femmes interrogées.
Au-delà donc des nutriments, des calories, et du déséquilibre de la balance énergétique, au-delà des conduites alimentaires ; les déterminants sociaux des décisions sont plus que jamais à prendre en considération comme des facteurs de risque majeurs d’obésité, dans une population précisément à haut risque.
Pour prévenir tout effet de « double peine », il convient maintenant d’être facilitateur le plus possible de l’accès aux soins à ces personnes particulièrement exposées aux affections chroniques consécutives à l’obésité (le diabète, les maladies cardiovasculaires, etc.).
Ceci donc sur un plan purement médical ; mais la véritable prévention doit s’exercer à un autre niveau : sur les parcours de vie, afin de construire de nouveaux modèles de prévention axés sur la réduction des gradients sociaux.
Il devient paradoxal aujourd’hui de dire que l’obésité est une « maladie de l’abondance » !
(1) Bulletin épidémiologique hebdomadaire, Institut de veille sanitaire, n° 19-19, 17 juin 2014.