• LALAU Jean-Daniel (Pr – Médecin nutritionniste)

Il a bon dos, l’estomac !

Y aurait-il un déterminisme du volume alimentaire : l’anorexique ne mangerait plus grand chose parce que l’estomac s’est « rétréci » ; et le sujet obèse, réciproquement, serait condamné à manger beaucoup, parce que son estomac serait au contraire élargi ? Réalité donc ? Ou simple représentation ? Examinons les faits.

Amélie ne peut plus manger

Serait-ce parce qu’elle a traversé une phase de restriction – vous voyez ce que je veux dire – que, quand bien même elle « voudrait manger » aujourd’hui, elle ne le « pourrait plus » ?

En quelque sorte elle présenterait un handicap alimentaire séquellaire de la phase de restriction. Les choses seraient ainsi fixées.

Albert, lui, au contraire…

C’est tout juste s’il ne dit pas que « c’est son estomac qui le demande ». Il mange beaucoup, mais alors vraiment beaucoup. Il se ressert à table. Une fois, parfois deux fois [1].

Il subirait la loi d’airain du corps : l’estomac, parce qu’il a été, lui, « fortement alimenté » demanderait, et demanderait encore son compte. Comme s’il fallait nourrir un organe-estomac insatiable !

Et dans les faits ?

Je vous le dis ? Bon, puisque vous insistez…

La scène m’a été rapportée par un serveur de restaurant. Nous sommes à Annecy ; vous savez les fromages de Savoie. Peu importe que ce ne soit pas l’hiver ; la raclette, ça fleure bon sous les arcades tout au long de l’année que Dieu fait.

Alors, humant l’atmosphère prometteuse, notre client s’installe. A l’époque, foin des petites coupelles pour le fromage fondu ; le serveur servait chaque tablée après avoir raclé avec son large couteau plat la moitié du grand fromage. Sur toute la hauteur, s’il vous plaît (et 1 roue de raclette, ça pèse tout de même l’équivalent de 24 camemberts !).

Le fromage une fois bien raclé, agrémenté d’un peu de jambon cru et de viande de grison, de pommes de terre bien sûr, et des cornichons pour la route ; vous êtes déjà bien servi. Bientôt, ce sera « un café et l’addition s’il vous plaît ».

Mais peut-être par gourmandise, par entraînement, vous resservirez-vous.

Avoir de l’estomac…

Alors, je vous le dis – ce que m’a dit le serveur : son record ?

Trente-cinq fois ! J’ai bien dit « 35 » ! Trente-cinq fois il a resservi un client insatiable !

Et d’ajouter : le tout arrosé de cinq litres de vin blanc…

J’avoue que je n’ai pas demandé : le client est-il sorti à quatre pattes, marchant en première comme le python qui aurait avalé un éléphanteau ?…

L’amoral de l’histoire

L’estomac, c’est un sac ; ni plus, ni moins.

L’alimentation est-elle la plus chiche ? Pensez à l’image d’un sac plastique collabé : il vous faudra le frotter pour parvenir à l’ouvrir.

L’alimentation est-elle la plus volumineuse ? Du moment que vous ne mangez pas trop vite, vous n’irez pas au vomitorium : l’estomac se contracte, et envoie gentiment des brassées d’aliments. Il vous faudra simplement faire la sieste.

Un rôle de représentation

Finalement, plutôt que de parler simplement « d’idée reçue », il serait intéressant de se demander : mais pourquoi ? Oui, pourquoi peut-on se représenter les choses ainsi ?

Je risque pour ma part l’hypothèse qui suit, celle d’un syllogisme :

• Un muscle hypersollicité s’hypertrophie. Et réciproquement ;
• L’estomac se contracte, sa paroi est bien un muscle ;
• Donc l’estomac…

Quoique…

Le muscle du culturiste est un muscle strié, avec lequel on peut faire de la gonflette.

Le muscle de l’hyperphage demeure un muscle lisse, même avec tout plein de tartiflette.

L’estomac de l’anorexique ne fond pas, même avec nénette…

L’estomac a bon dos…